2. Poésie cosmique sur fond d’avant-garde

Narration audio (en yiddish) : deuxième partie
Groupe d’écrivains yiddish à Varsovie, années 1920. De gauche à droite : Kadye Molodovski, Yoysef Kirman, Yoysef Opatoshu, Isaac Bashevis Singer (debout), Aaron Zeitlin, Meylekh Ravitsh.

Zeitlin cultive de nombreux genres : poésie, drame, essai, roman. Mais il est pour l’essentiel poète au sens classique du terme, ce qui comprend la création théâtrale. Il apparaît dans une littérature yiddish en plein bouillonnement des avant-gardes au début des années 1920 à Varsovie. Dans l’esprit de l’expressionnisme littéraire de l’après-guerre, des écrivains comme Moyshe Broderzon (1890-1956), Peretz Markish (1895-1952) et Uri-Tsvi Grinberg (1896-1981) créent des poèmes dont les images violentes veulent refléter le chaos du monde. Ils fondent de nouvelles revues pour les publier. Leur mouvement gagne un large écho parmi la jeunesse.

Le combat du sens et du chaos

Tandis que Zeitlin père pourfend dans des articles de presse « l’esthétique déformée » des chantres de l’avant-garde, Aaron préfère réagir par l’œuvre artistique. Son poème apocalyptique Metatren (1922) fait subtilement écho au Mefisto de Grinberg (1921). Le style en est aussi avant-gardiste, mais si Grinberg a recours au blasphème et aux images les plus pessimistes pour décrire un monde insensé, mu seulement par le Mal, Zeitlin évoque une Création pourvue de sens, où le monde chaotique des humains, ce qu’il est convenu d’appeler l’Histoire, n’est qu’un aspect du plan de l’Éternel.

Aaron Zeitlin, Metatren (Métatron, poème apocalyptique), Varsovie, 1922.

Le combat, incessant chez lui, entre scepticisme et foi, le jeu mystérieux du féminin et du masculin, la soif de révélation constituent ses thèmes de prédilection dans les années 1920-1930.

Tables de la Loi contre affiches journalistiques

Groupe d’écrivains yiddish à Varsovie, années 1920. De gauche à droite : Rokhl Korn, Isaac Bashevis Singer, Israel Joshua Singer, Aaron Zeitlin, Meylekh Ravitsh.

Nombre de poèmes expriment son rejet, souvent sur un ton satirique, de tout programme politique qui ne prendrait pas racine dans une vision spirituelle, et de toute littérature dont le réalisme ne donnerait pas une place à « l’autre réalité », celle qui se trouve en dehors et au-dessus de l’humain. Ses sarcasmes visent particulièrement la soif d’honneurs, l’esprit de chapelle, la flagornerie mutuelle dans les milieux littéraires. Il se montre aussi critique envers lui-même, dans la mesure où il est malgré tout contaminé par le péché qu’il reproche à tous les Juifs de son temps :

Nous sommes le paradoxe de la Création divine,
Nous sommes les Tables de la Loi et l’affiche
[…]
Si par hasard naît parmi nous un prophète
Voilà qu’il se fait journaliste.

Aaron Zeitlin.

Comme son père, Zeitlin est hostile aux partis et aux lignes politiques, mais globalement il est attaché à un sionisme de racine mystique, dont on ne trouve pas la voix dans l’éventail des courants et partis existants. Après le Génocide, son idée d’une nation juive participant d’un destin et d’une transcendance s’exprime avec une force accrue.

Caricature « Cadeaux de Pourim modernes » : trois poètes d’avant-garde arrivent avec leurs recueils récemment publiés : Meylekh Ravitsh (à droite) avec ses Nakete lider (Poèmes nus), Moyshe Broderzon, avec ses Tsungen-lungen (Langues-poumons ; inscription en haut : « Des punaises dansent sur un plateau »), Perets Markish, avec Di Kupe (Le Tas). Hillel Zeitlin (à gauche) : « Beurk ! Qu’est-ce que c’est que ces cadeaux de Pourim ? Vous ne pourriez pas m’apporter quelque chose de traditionnel ? Des gâteaux au pavot, un vin de raisins secs, un gâteau au miel frit dans l’huile, des choses comme ça ? Beurk, où avez-vous vu des cadeaux pareils ? » (Der Moment, 14.03.1922).